Christine Lagarde dans le Daily Show

Publié le par Moktarama


        Notre ministre de l'économie, Christine Lagarde, était lundi soir l'invitée du Daily Show, l'émission satirique animée par Jon Stewart sur la chaîne Comedy Central [1] et enregistrée à New York. Jon Stewart, comme à son habitude, a pas mal cabotiné, et l'interview ne révèle rien de particulier. La ministre française de l'économie a admirablement noyé son sujet, tout en apparaissant très sympathique.

        Cette interview n'en reste pas moins intéressante, en montrant notamment l'importance cruciale de la perception en matière d'informations, en particulier quand l'échange est manifestement assymétrique. C'est en effet le cas ici de manière flagrante, Jon Stewart et les nombreux scénaristes du Daily Show n'ayant visiblement qu'une connaissance très restreinte des situations française et européenne, celles-ci étant jugées - pour le moment - positivement en comparaison de la situation américaine. Christine Lagarde, forte de ses vingt ans passés aux Etats-Unis comme avocat d'affaires, mais aussi d'un contexte médiatique très favorable à l'image de la France aux États-Unis, n'a eu aucune difficulté à réussir l'exercice, dominant un Jon Stewart consentant [2] de la tête et des épaules.

Ci-dessous figure la vidéo de cette interview, puis la transcription traduite et commentée de celle-ci par votre serviteur :


Jon Stewart : Mon invitée ce soir est la ministre française de l'économie, veuillez accueillir dans l'émission Christine Lagarde !

Jon Stewart :
Merci d'être là. Comment la France gère-t-elle cette tempête économique ?

Christine Lagarde :
Bonjour, tout d'abord, si je peux me permettre !

Jon Stewart :
Hola !

Christine Lagarde :
Hola, c'est le Mexique.

Jon Stewart :
Oui, c'est tout ce que j'ai, c'est la seule chose que j'ai étudié.

Christine Lagarde :
Comment la France gère-t-elle cette tempête économique ? Et bien, comme tout le monde, en nous débattant, [pas de traduction] , et en faisant deux choses essentiellement : en essayant de relancer l'économie, en essayant de prendre soin de ceux qui sont en train de perdre leur emploi, c'est la première chose [3]
. Et de l'autre côté, et tout le monde n'est pas d'accord avec nous, en essayant de réguler et de discipliner le secteur financier.

Jon Stewart :
Vous y êtes allée et avez viré plusieurs banquiers.

Christine Lagarde :
C'est ce que j'ai fait, monsieur. [applaudissements du public]

Jon Stewart :
Pourriez-vous virer quelques-uns des nôtres ? Vous n'auriez pas quelque autorité pour virer certains des nôtres maintenant ?

Christine Lagarde :
Non, ils font bien leur travail, je ne virerais aucun d'entre eux [en désignant le public qui rigole] . Vous savez, nous avions de bonnes raisons de le faire. Je veux dire, la plupart de nos banques vont bien, l'une d'elle était une holding franco-belgio-luxembourgeoise, qui n'a pas bien agi, qui n'avait pas la bonne stratégie, qui perdait de l'argent par wagons, et nous n'avions plus qu'à injecter des capitaux et des fonds propres dans la banque. Et nous sommes devenus actionnaires, sans nationaliser complètement mais en devenant des actionnaires officiels pour avoir un pouvoir de décision.

Jon Stewart :
Combien avez-vous pris ?

Christine Lagarde :
Plus de 50 % . Nous avions donc le contrôle du conseil d'administration, et nous, en tout cas j'ai dit : la direction doit partir, ils ont très mal travaillé [they did a crappy job] , ils doivent partir [4].

Jon Stewart : Dans votre esprit... par ailleurs, j'adore ça, comment diriez-vous crappy en français ?

Christine Lagarde : Pourri.

Jon Stewart : Comment diriez-vous catastrophic economic downturn en français ?

Christine Lagarde : Récession économique catastrophique.

Jon Stewart :
Vous voyez, c'est beau. [rires du public] C'est beau à entendre. Si cette dépression avait lieu en français, je ne pense pas que nous serions autant en colère contre ça. Parce que ça sonne si joliment pour l'instant...Qui est, dans votre esprit, le pays le plus socialiste selon vous ? Les États-Unis ou la France ? Sur une échelle de zéro à Che Gevara, qu'auriez-vous à dire, est-ce la France ou les États-Unis maintenant ? Votre capitalisme semble avoir des sanctions, pas le nôtre.

Christine Lagarde :
Vous apprendrez vite.

Jon Stewart :
Quoi ??

Christine Lagarde :
Sérieusement, je pense que nos deux pays sont des économies de libre-marché, pour commencer. Notre économie avait [brève hésitation de Christine Lagarde] et a toujours beaucoup de filets de sûreté, beaucoup d'assurances-chômage, beaucoup de sécurité sociale pour tous [5] , et ça...

Jon Stewart :
Nous vous avons critiqué cela. Mais ça a atténué certains des problèmes.

Christine Lagarde :
Bien sûr, ça a stabilisé l'économie et nous a aidé à passser à travers une partie de la pagaille qui a eu lieu ces derniers trimestres ; et clairement c'est une part du plan que votre président veut mettre en place, vous savez, plus de sécurité sociale et d'assurances publiques pour tous, alors peut-être que vous vous déplacez dans notre direction pendant que nous convergeons vers vous [6] .

Jon Stewart :
Diriez-vous que, maintenant, nos deux pays sont à égalité ? Parce que nous avons l'impression d'avoir encore quelques jokers de la seconde guerre mondiale, Mais vous pourriez bien nous sauver de cette crise économique, alors nous dirons que nous sommes quittes [7] . Nous remodifierons les Freedom fries en French fries et tout sera fait. [rires du public et de Christine Lagarde] Sommes-nous quittes maintenant ?

Christine Lagarde :
Je vais vous dire quelque chose, Jon, il est amusant que vous mentionniez la seconde guerre mondiale, parce que c'était un moment où nous étions tous ensemble, ...

Jon Stewart :
Vous savez, nous n'avons jamais arrêté de le mentionner. La seconde guerre mondiale est dans ce pays ce qu'on appelle un argument de haute valeur [8] .

Christine Lagarde : C'en était un quand nous étions ensemble,  et que vous êtes venus nous aider, et c'est une histoire commune. Et de la même manière, nous somme là-dedans [la Crise] ensemble, et de la même manière nous devons serrer les rangs et tous prendre la même direction, pour que nous puissions sortir de la situation actuelle. Ca n'a rien à voir avec une guerre mondiale, mais... [applaudissements du public]

Jon Stewart :
Vous dites donc qu'il faut une coopération mondiale.

Christine Lagarde :
Oui...

Jon Stewart : Vous vous rendez compte de la peur qu'il y a ici.

Christine Lagarde :
...et je me battrai pour ça.

Jon Stewart :
Et, pour mettre ça au clair, vous êtes en faveur du libre-marché.

Christine Lagarde : Oui.

Jon Stewart : La peur aux Etats-Unis, est qu'en parlant avec vous, ou avec d'autres pays d'Europe, nous abandonnions notre souveraineté et devenions un pays européen, puis que vous nous imposiez l'euro, puis nos bières s'amélioreront [rires du public] , que notre pays abandonne et que vous puissiez alors nous dire si nous avons le droit d'aller à l'église et quels jours de la semaine. C'est la peur que nous avons dans ce pays [9] . Pouvez vous nous assurer, tous, que vous n'avez pas de vues sur notre gouverneent, et que vous êtes seulement en train de nous donner de l'argent. [rires de Christine Lagarde]

Christine Lagarde : Nous n'avons aucune intention de prendre contrôle ou d'enlever quoi que ce soit.

Jon Stewart : Pourriez-vous signer cette assertion ?

Christine Lagarde : Je signerai avec plaisir, mais nous avons la volonté de sortir de ça tous ensemble, et c'est ce que nous avons fait en Europe ces cinquante dernières années, essayer de faire les choses ensemble. Ce n'est ni facile ni donné, parce que chaque pays a sa souveraineté et veut la conserver, mais si nous sommes dans la pagaille ensemble, nous devons en sortir ensemble.

Jon Stewart : Pensez-vous que l'Union Européenne a été une aide ou un poids actuellement pour les pays touchés ?

Christine Lagarde : C'est clairement une influence positive, en particulier avec l'euro. Vous savez, nous veillons chacun à l'autre, nous nous soutenons mutuellement et nous nous faisons confiance [10] . Certaines économies sont plus fortes, si vous regardez l'Allemagne qui est très dépendante de ses exportations industrielles et qui souffre beaucoup en ce moment ; la France qui a un équilibre entre consommation intérieure, exportations et investissements ; la Grèce qui connaît une passe difficile et ne récupère pas mais est une partie de l'Eurogroupe...cela est vraiment une grande aide.

Jon Stewart : Une dernière chose avec l'Allemagne : comment ça se passe avec eux ? [rires du public] [rires de Christine Lagarde] Vous savez, parce que nous avons demandé à Angela Merkel pour de l'argent pour stimuler l'économie, et elle a dit "Nein" [rires du public] ! Est-ce que c'est de la colère résiduelle du massage de Bush ? Est-ce qu'elle nous rend la monnaie de notre pièce ou quelque chose comme ça ? Nous n'arrivons pas à comprendre.

Christine Lagarde : L'Allemagne a mis dix-huit milliards d'euros dans son plan de relance de l'économie, ou "massage de relance" comme vous l'appelez [rires de Jon Stewart] , mais c'est un bon plan de relance de l'économie !

Jon Stewart : Je ne sais pas ce qui s'est passé au niveau de la traduction, mais j'aime ça ! Que pensez-vous à propos des prévisions actuelles, pensez-vous que nous avons touché le fond, allons-nous en sortir, si les choses commencent à refonctionner ?

Christine Lagarde : Je pense que nous avons chuté, nous sommes au fond, il y a des signaux tout autour de la planète, nous avions une conférence internationale la semaine dernière, et nous étions tous d'accord sur le fait que des signaux sont là, que la situation se stabilise. Alors quand ça va reprendre, c'est dur à prédire, mais je pense que nous sommes au fond et que ça ne chutera pas plus bas, c'est ce que je retiens en ce moment [11] . Il faut tenir, tenir, et intégrer dans les bases ce qu'on a appris.

Jon Stewart : Tant qu'il n'y a pas de pandémie... [rires du public] Merci de votre présence.

Christine Lagarde : Je savais que vous alliez me servir quelques clichés, alors je vous ai amené un cadeau ! [elle lui offre un béret] [applaudissements et rires du public]

Jon Stewart : Vive la France ! Vive la France ! Vive Christine Lagarde !




Notes

[1] Le Daily Show, auparavant diffusé quotidiennement par Canal + en France, est maintenant visible sur cette chaîne le samedi matin à huit heures moins vingt, en forme de résumé de la semaine, et bien sûr sous-titré. Uniquement pour les lève-tôt... les anglophones, eux pourront regarder les émissions - quatre par semaine - directement sur le site internet du Daily Show. Mise à jour [4 mai 2009] : les vidéos complètes ne sont dorénavant plus accessibles aux visiteurs n'étant pas situés aux États-Unis. On peut toujours, pour le moment du moins, consulter les épisodes découpés en tranches sur le site. Mais les spectateurs internationaux expriment leur colère sur le forum d'une émission qui les avait jusque-là toujours choyés...

[2] Il existe en effet deux catégories d'interviews dans le Daily Show : la première concerne les politiques et médias américains, qui doivent en général faire face à de féroces critiques ; tandis que la seconde se veut plus drôle, amicale, et donc forcément moins pertinente. Christine Lagarde n'a à aucun moment été "mise en danger" ici... il n'en reste pas moins instructif de voir comment elle exploite ce fait, c'est à méditer pour ceux qui se demandent si l'honnêteté a quoi que ce soit à voir avec la communication ou le débat politique.

[3] Si on visualise bien la partie "relance de l'économie" des actions de notre gouvernement, on peut toutefois rester dubitatif devant l'affirmation qu'il est plus pris soin des chômeurs qu'à l'habitude, entre réductions d'effectifs - en pleine explosion du chômage - et désorganisation induite par la création du Pôle Emploi. Sans parler des peu habiles manipulations statistiques concernant le nombre de chômeurs...

[4] Quelques précisions s'imposent : la holding de trois pays est la banque Dexia, qui a été sauvée il y a quelques mois, et dont le dirigeant s'est en effet fait démettre de ses fonctions. Le duo à la tête de la banque française Natixis s'est également fait jeter il y a deux mois. Toutefois, Christine Lagarde se garde bien de mentionner les innombrables polémiques concernant ces deux banques, entre indemnités de départ faramineuses, bonus de plusieurs millions d'euros, pertes abyssales, investissements douteux, la dernière en date étant le Golden Hello d'un demi-million d'euros attribué au nouveau patron de Dexia... on voit bien ici que la situation française n'est pas si éloignée dans les grandes lignes de celle prévalant aux États-Unis.

[5] Ici, Christine Lagarde joue très bien du différent culturel qui existe en la matière entre nos deux pays. Vu de France, cela prête à sourire tant les réformes gouvernementales défavorisent ce pan social tant vanté ici...on en reparle à la note suivante.

[6] Comme dit Christine Lagarde, nous convergeons...c'est-à-dire que tandis que les États-Unis redécouvrent les vertus d'un modèle public social fort, notre gouvernement fait tout ce qui est en son pouvoir pour modifier ce qu'il considère comme un poids, président Sarkozy en tête. À l'appui de cette affirmation, on pourra piocher dans ces quelques réformes, dont on ne peut dire d'aucune qu'elle favorise la solidarité publique : la franchise médicale, l'ouverture des commerces le dimanche, la réforme sur l'emploi des cadres...on se permettra de rappeller également l'échec total que semble être la loi TEPA sur les heures supplémentaires.

[7] On voit  ici l'état psychologique qui règne outre-atlantique, extrêmement pessimiste...

[8] Référence au french-bashing qui a sévi de manière particulièrement forte ces dernières années aux États-Unis.

[9] Jon Stewart parle ici du parti républicain et de la chaîne Fox News, qui font assaut de catastrophisme ces derniers temps.

[10] Ce n'est pas vraiment ce qu'on pourrait déduire des informations en provenance des économistes et des débats de l'Union Européenne si on élimine les belles déclarations d'amitié : les pays de l'Est continuent de sombrer, l'Union Européenne persiste à ne pas traiter le problème des pays hors-zone euro de manière sérieuse, et la Banque Centrale Européenne ne sait pas sur que pied danser, notamment ce qui concerne les approches "non-conventionnelles" - car très risquées, et aux conséquences imprévisibles - comme le quantitative easing
qui, en très gros, revient à faire fonctionner la planche à billets pour racheter sa propre dette - les États-Unis le font depuis plusieurs semaines. Mise à jour [12 mai 2009] : La Banque Centrale Européenne a commencé à passer au quantitative easing ; tandis que la Chine fait part de son inquiétude quand au fait que le quantitative easing pratiqué aux USA puisse in fine provoquer un défaut sur la dette américaine - dette dont la Chine détient une bonne partie.

[11] Concernant cette affirmation, répétée à qui mieux mieux par les élites nationales et internationales, nous sommes plus en présence d'une incantation que d'une prévision potentielle, et tout cela relève plus du domaine de la communication que de la finance ou de l'économie...je vous renvoie à mon précédent billet : Caricatures de la semaine [22 avril 2009]



  Autres traductions ou transcriptions en français du Daily Show

 

Publié dans Dans le monde

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A
@Moktarama : cette émission est un TalkShow , et comme son nom l'indique c'est du "Show" ... c'est pas une émission de politique , donc , comme 95% des spectateurs de cette émission je regarde The Daily Show pour me distraire avant tout ... Et j'étais ravi de voir une francaise , et en plus une belle femme , qui a de hautes responsabilités , qui s'est exprimée avec beaucoup d'aisance , qui a certainement été apréciée par les spectateurs américains , et donc qui participe à l'image de façon très positive à l'image de notre pays et de l'europe . On le sait qu'il y a des gens bien , et intelligents , en France ... Mais sache que la plupart des Américains s'imaginent que l'on vit encore au moyen âge ici ... Pour une fois on leur à donner une Image POSITIVE , GRACE A ELLE . Peu importe de quoi elle parlait au fond ... personne n'y a fait attention puisque c'est pas ça qui est interressant dans un talkshow , ce qui est interressant c'est de voir des gens discuter , et non de les entendre ... t'es pas d'accord ?  Sur ce , merci encore Madame Lagarde  
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M
<br /> @ alex :<br /> <br /> A vrai dire, non, je ne suis pas d'accord, notamment vis-à-vis des interviews du Daily Show, qui pour certaines sont plus proches du journalisme que la soupe qu'on peut trouver sur les grands<br /> médias américains. Et, pour tout dire, la France (ou en tout cas les français) a déjà une image très positive aux Etats-Unis , et encore plus depuis le retournement du contexte politique et<br /> économique. Lagarde n'a pas grand-chose à voir là-dedans, même si elle s'en est très bien tirée.<br /> <br /> J'apprécie par ailleurs le Daily Show et Colbert pour leur humour, mais croire que show et politique sont nettement séparés aux Etats-Unis est juste faux. C'est un constat valable en<br /> France également, le Grand Journal est bien un show, pourtant qui nierait son importance politique ?<br /> <br /> <br />
A
Merci Madame Lagarde , je suis fier d'etre francais quand des gens comme elle nous représente à l'étranger , et encore plus aux états unis ... dans une des émission la plus regardée !  Félicitations !
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M
<br /> @alex : je ne suis pas certain que cette réussite lors de ce passage soit particulièrement encourageante...cela me semble plutôt un signe fort que nos dirigeants sont encore très loin d'avoir<br /> compris la situation présente.<br /> <br /> <br />
P
vive la France...la nôtre
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