Point sur l'avancée de la Crise en Europe (et ailleurs)

Publié le par Moktarama


En cette période de peu d'actualité médiatique française, entre Noël et le jour de l'An, je vous propose d'aller examiner la situation économique et financière européenne d'abord, mondiale ensuite. Je me reposerai pour la situation européenne sur les extraordinaires billets d'Edward Hugh, qui publie sur son blog Global Economy Matters comme sur le support collectif A Fistful of Euros - en anglais - et que je ne saurais trop vous recommander, tant pour la pertinence de ses analyses que pour la profondeur de celles-ci.



Préambule

        Pour ce compte-rendu, je me place ici dans une perspective de soutien absolu aux systêmes économiques et sociaux actuels, capitalisme financiarisé à l'extrême, marché vu comme unique systême d'évaluation de la valeur, démocratie représentative et tout le tintouin des organisations internationales. La croissance sera donc considérée ici comme bonne et nécessaire, tout comme par ailleurs le maintien des innombrables structures sociales qui régissent notre monde. Appelons cela une convention intellectuelle, qui va nous permettre de parler du sujet sans que ne rentrent en ligne de compte les innombrables perceptions différentes de celle dont je vous parle ici, et qui pourraient faire voir la situation d'un oeil bien différent [1] .

        Ceci étant écrit, rentrons dans le vif du sujet avec l'examen attentif et résumé pour vous de trois articles très récents d'Edward Hugh intitulés "Why the rating agencies are right and Georges Papaconstantinou is wrong" , "Latvia is back in the news and expect more to come" et "Marching separately but striking together over at the ECB" ; respectivement à propos des situations grecque et lettonne, puis de la marge de maneuvre de la Banque Centrale Européenne et des pays "à risque" en UE que sont l'Espagne et l'Irlande [2] .


La Grèce ou un dangereux coin planté dans l'Eurozone

        Le pays connaît de grandes difficultés économiques et politiques depuis des mois, nonobstant la légendaire corruption de la classe politique grecque, quasiment endémique. Du point de vue strictement économique et financier, la Grèce voit depuis un an sa note régulièrement abaissée par les agences de notation, qui après leur monumental échec de l'année dernière sont particulièrement pointilleuses pour les pays du ventre mou du peloton mondial. Ainsi, dernièrement, l'agence Moody's a fait passer le pays de A2 à A1 en indiquant une surveillance négative, c'est-à-dire envisageant que cette note se dégrade encore prochainement. La spirale dans laquelle se trouve en ce moment la Grèce est particulièrement difficile à freiner compte tenu de la forte méfiance qui règne chez les investisseurs quand aux émissions d'obligations par les pays.

        Le premier ministre, Mr Papaconstantinou, est allé jusqu'à déclaré que les agences de notation se trompaient, que des mesures suffisantes et nécessaires avaient été prises, dans une déclaratoin que les hommes politiques internationaux s'abstiennent habituellement de faire pour ne pas affoler encore plus les marchés. Or, en ce qui concerne la Grèce, et même en éliminant les énormes problèmes économiques et financiers actuels spécifiques à la Crise, le pays est démographiquement sur une dangereuse pente descendante du point de vue démographique, avec une popuation vieillissante et un faible taux de naissances, ce qui incite effectivement à ne pas voir d'amélioration possible au long terme - et même une dégradation quasi-certaine, dans un pays qui a infiniment moins de marges de maneuvre financière que l'Allemagne par exemple. Bref, comme le signale Edward Hugh, il semble que quelque soit le bout par lequel on prend la notation de la Grèce, les agences de notation aient raison, en tout cas nettement plus qu'un premier ministre aux prises avec de gros problèmes politiques internes.

        Mais la question qui se pose en dehors du pays apparaît bien plus dangereuse :  la BCE avait en effet annoncé en 2005 qu'elle ne soutiendrait pas et ne donnerait plus sa protection sous forme de garantie - "collateral" - explicite aux investisseurs dans la dette nationale d'un pays de l'Eurozone dont la notation passerait sous le seuil, vu à l'époque comme largement improbable, du fameux A1 qui vient d'être délivré par Moody's à la Grèce. Le problème qui se pose aujourd'hui apparaît alors évident : soit la BCE lâche la Grèce au risque de voir un des pays de l'Eurozone sombrer à une vitesse accélérée, mais aussi par ricochet de retirer l'attraction actuelle et presque irrésisitible des pays externes à l'Eurozone et en difficultés financières [3] ; soit la BCE revient sur sa parole donnée aux marchés financiers mondiaux en 2005, prenant donc le risque de perdre leur confiance quand à la solidité intrinsèque de l'Euro, et de voir l'ensemble des pays européens en danger quand au refinancement de leur dette ainsi qu'un Euro vaciller très fotement sur ses bases.

        La seule possibilité qui semble viable serait que la Grèce prenne des mesure drastiques de réduction des dépenses, et que les pays les plus riches de l'UE apportent rapidement des fonds au pays, afin d'éviter à tout prix que la BCE ne se retrouve engagée dans un choix cornélien et forcément perdant. Toutefois, l'Allemagne parle beaucoup mais agit peu envers ses voisins, à l'instar de la France par ailleurs, et la situation politique grecque semble trop dangereuse pour des mesures fortement impopulaires à court terme. Bref, la situation est d'une extrême complexité, et je n'y vois personnellement pas d'échappatoire tant que ces problèmes ne seront pas mis brutalement sur la table par tout le monde, pays de l'Eurozone comme BCE.


La Lettonie ou la politique du pire

        La situation lettonne est particulièrement inquiétante, en ce qu'elle pourrait augurer du futur d'autres pays autour de l'Eurozone. Le gouvernement, si il a appliqué certaines injonctions du FMI, s'est en effet jusqu'ici refusé à procéder à une dévaluation brutale du Lati, la monnaie du pays, essentiellement pour des motifs de politique intérieure [4] . Pourquoi est-ce dangereux ? Pour la raison qu'une autre spirale qu'en Grêce est enclenchée, mais une spirale tout aussi dévastatrice : la dette publique est en train d'exploser dans une mesure qui n'a rien à voir avec celle de l'Allemagne ou de la France, le taux de chômage est encore plus élevé qu'en Espagne - supérieur à 20 % et en augmentation - , le tout avec un resserrement extraordinairement violent du crédit depuis octobre 2008 alors que le pays avait connu une augmentation incroyable de celui-ci dans les années précédentes. 

        Un des signaux prosaïques mais alarmants est que le pays est récemment devenu exportateur net d'automobiles sans en produire une seule - faisant paradoxalement remonter un peu les exportations - , simplement parce que les taux de défaut sur les crédits de ces voitures augmentent tellement qu'il est plus intéressant pour les organismes prêteurs de les revendre à l'étranger - ce qui fait penser à la situation islandaise. Les lettons sont par ailleurs en train de se remettre à émigrer, comme aux pires moments de la chute de l'URSS. Et le premier ministre a beau exhorter les banques suédoises, très présentes dans le pays, à arrêter de resserrer autant les crédits aux particuliers et entreprises, on voit difficilement comment celles-ci pourraient le faire sans se mettre elles-même en danger.

        En refaisant l'histoire (très) récente, on pourrait indéniablement pointer du doigt l'inanité du sauvetage massif sans nationalisation des banques lettonnes, à l'image de ce qui fut fait ailleurs, en contradiction avec l'exemple suédois des années 90 qui fut le seul à réussir dans l'histoire récente des situations similaires, et avec des conséquences tragiquement plus rapides pour la Lettonie que pour la plupart des autres pays ayant procédé de cette manière.

        Nonobstant cette décision, il semble que la Lettonie doive absolument et rapidement dévaluer sa monnaie, au risque de purement et simplement sombrer, d'autant plus compte tenu d'une démographie qui est encore plus vieillissante que la Grèce et risque à moyen terme de rendre tout le systême de pensions et de retraites caduque. Ceci alors que le gouvernement semble toujours compter sur la possibilité d'une entrée dans l'Eurozone en 2012, ce qui non seulement est infirmé par les indicateurs économiques du pays dont on voit difficilement comment ils pourront revenir à des niveaux suffisants pour remplir les critères de la BCE ; et alors que la situation grecque pourrait très bientôt infirmer magistralement le rôle de parapluie monétaire de l'Euro, rôle en lequel tous les pays proches de la zone Euro semblent encore parier.


La BCE mène une politique de bord de falaise : l'Irlande s'en sort pour le moment face à une Espagne qui nie la réalité.

        La Banque Centrale Européenne avait libéré le robinet de la monnaie envers les banques au plus fort de la crise, injectant des dizaines de milliards d'euros dans le systême bancaire européen à des taux défiant toute concurrence et permettant de partiellement relancer le crédit. L'opinion générale, selon Edward Hugh, veut que ces taux remontent quelque peu pour retrouver des niveaux à peu près normaux maintenant que la partie financière la plus dangereuse est passée, resserrant un poil les conditions de crédit, théoriquement de manière margnale. De la précédente opération à l'actuelle, nous passons de 589 à 224 banques qui bénéficieront de ce généreux robinet. Toutefois, on remarquera que si le nombre de banques chute fortement, ce qui semble bon signe, la moyenne des sommes prêtées augmente également fortement, indiquant un fort décalage qui va en s'accroissant. Et si la BCE ne commente pas, il semble logique que les banques encore concernée par le renouvellement de l'opération soient celles des pays les plus en difficulté au sein de l'Eurozone, soit l'Autriche - très engagée dans les prêts aux pays de l'Est - , la Grèce, l'Irlande et l'Espagne.

        L'Irlande est pour le moment la bonne nouvelle des pays les plus en difficulté en Europe. Tout d'abord, la garantie absolue donnée par le gouvernement quand à la conservation des dépôts bancaires au tout début de la crise, bien que foncièrement irréalisable en cas de retraits massifs des dépôts - ou bank run - dans les banques irlandaises vu son montant d'environ 400 milliards d'euros - bien plus que ce que pourrait emprunter le pays - , a joué pleinement son rôle en évitant pour le moment ledit run. Ensuite et surtout, l'Irlande a crée sans trop d'hésitation une bad bank - la NAMA pour National Asset Management Agency - pour les innombrables actifs pourris générés par la Crise, permettant une fois de plus de redonner de la confiance et d'assainir nettement les finances des banques du pays. L'Irlande a ainsi envoyé un signal fort aux investisseurs internationaux malgré l'explosion de sa dette et de celles de ses banques, suivant les conseils de la BCE et conservant toute sa confiance.

        De l'autre côté du spectre décisionnel, nous avons l'Espagne, qui reste compètement sourde tant à sa propre situation économique qu'aux conseils de la BCE pour éviter le pire. Dans ce pays, rien n'a été créé, ni bad bank ni annonces fortes de garanties, et le gouvernement laisse coupablement les banques nationales cacher ses innombrables actifs pourris - vu l'explosion d'un marché immobilier complètement délirant - aux yeux des investisseurs et du marché [5] . Aucun conseil de la BCE n'a été appliqué ni même semble-t-il écouté. De la même manière que pour la Grèce, nombreux sont ceux qui s'attendent à un sauvetage financier par les pays les moins en difficulté de l'UE - soit l'Allemagne et la France. Cependant, je ne vois pas vraiment pourquoi ces deux pays, fort avares dans l'aide accordée aux voisins depuis le début de la Crise, se mettraient à aider financièrement une Espagne qui refuse non seulement de prendre des mesures sérieuses pour améliorer ou au moins éclaircir la situation, mais aussi de prendre en compte le moindre conseil de la BCE. Si sauvetage il y a, il ne sera fait finalement que pour éviter une contagion catastrophique, et certainement pas pour aider l'Espagne à se relever - tout juste pour éviter qu'elle n'entraîne l'UE et l'Euro dans un précipice.


Le reste du monde, entre faux espoirs et vraies désillusions

Je vais faire rapide pour ce qui est du reste du monde, sans liens mais avec ce que je vois passer depuis un mois :

        Côté américain, le marché immobilier tombe toujours plus bas, avec maintenant une seconde vague massive de défauts sur les prêts immobiliers, cette fois-ci de gens pas forcément pauvres ou en difficulté mais que l'augmentation délirante des taux d'intérêt de leurs prêts pousse à abandonner leurs biens immobiliers aux banques, ceux-ci valant désormais nettement moins que ce que le remboursement du prêt ne leur coûterait. Les Etats-Unis viennent également de donner des garanties illimitées aux deux plus gros réassureurs de prêts immobiliers, Fannie Mae et Freddie Mac, ce qui n'augure rien de bon quand audit marché immobilier, et ressemble quelque peu à la création en douce d'une bad bank. La Chine reprend du poil de la bête, mais son évolution démographique ne laisse pas envisager que ce pays devienne le moteur de la consommation mondiale à l'image des États-Unis durant les soixantes dernières années. Le pays connaît par ailleurs d'innombrables bulles financières tant dans l'immobilier que dans les marchés d'actions, augurant d'une sacrée gueule de bois lorsque celles-ci exploseront. Le Japon continue de ne plus savoir quoi faire après dix ans de stagflation et une dette publique monumentale, le tout nouveau gouvernement connaissant déjà des troubles politiques. 

        Pour ce qui est des indicateurs, on a vraiment du mal à voir où est la reprise mondiale, malgré une fin d'année qui vit de gros niveaux de consommation. Ainsi, l'or est toujours au plus haut, à des seuils extrêmement élevés, au delà de 1000 $ l'once. De son côté, le Baltic Dry Index, indicateur du tarif moyen du coût du transport de matières premières en vrac et par bateau, reste au plus bas et est retombé après un léger pic en novembre. Du même ordre, Thyssen Krupp, une des plus grosses entreprises mondiales de l'acier - un des précurseurs essentiel de nos sociétés industrialisées - , ne vit "aucune amélioration avant 2012" dans un communiqué étonnamment peu repris. 



        La seule conclusion que m'inspire tout ça est plutôt sombre, loin des annonces de reprises pour 2010 et du retour de la croissance mondiale. J'y vois plutôt un scénario mondial similaire aux dix dernières années que vécut le Japon, avec une explosion inéluctables des dettes pubiques et une désespérante stagnation de la demande mondiale à des niveaux trop faibles pour relancer la grande machine de la consommation. Et ce n'est certainement pas la Chine qui se débarrasse de ses gigantesques réserves de dollars en douce en achetant des terres et des entreprises un peu partout dans le monde qui est là pour me rassurer. Bref, que la Crise s'avère être en W ou en L, m'est avis que le monde n'a pas fini d'en parler. Ceux qui écartent le spectre de 1929 au prétexte que l'effondrement brutal d'octobre 2008 a été finalement stoppé in extremis en renflouant les banques sur fonds publics sans implémenter au passage des mesures drastiques de régulation me semblent jouer à ce titre un jeu bien dangereux, et l'on peut s'attendre à mon humble avis à de graves troubles politiques dans de nombreux pays de par le monde dans les années à venir. Une fois n'est pas coutume, je souhaite franchement me tromper...



Notes

[1] À l'image, par exemple, d'une publication opposée aux systêmes actuels comme dedefensa, qui se réjouit ainsi ouvertement de l'attribution hallucinante par le Financial Times du titre d'homme de l'année à un des Goldman boys, du nom de la maintenant tristement célèbre - et au coeur de la crise financière du côté des États-Unis - banque d'affaire Goldman Sachs.

[2] Les anglophones particulièrement intéressés par le sujet sont vivement encouragés à aller lire ces articles, qui bien que dans une perspective appuyant sans réserve le systême actuel, n'en sont pas moins d'une grande lucidité et très bien informés.

[3] L'Eurozone perdant instantanément aux yeux des pays limitrophes son rôle de parapluie financier absolu, rôle dont personne ne doutait il y a encore quelqes semaines...

[4] Motifs politiques approuvés par une Cour Constitutionnelle lettonne qui a déclaré contraire à la Constitution toute dévaluation de la monnaie. Toutefois, on les comprend : annoncer une réduction supplémentaire des retraites, pensions et salaires via une dévaluation - après celles faites directement sur injonction du FMI - risquerait de provoquer de très graves troubles politiques.

[5] J'ai encore en mémoire les publicités de cet été de la banque espagnole Santander, qui n'hésitait pas à placarder partout dans le pays que sa situation était la meilleure d'Europe et sa parfaite santé financière, comme si la Crise n'existait simplement pas, ou n'était qu'un mauvais rêve.



Publié dans Dans le monde

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I
<br /> Bulle financiere toujours existante et les deficits publics toujours en hausse. Le secteur de l'emploi s'est profondément dégradé en europe et aux etats unis. <br /> Aux etats unis le credit peine à redémarrer. Bref Une tendance difficile pour 2010 qui devrait quelque peu ressembler à 2009.<br /> <br /> <br />
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