Création d'une allocation pour accompagner un proche mourant

Publié le par Moktarama


L'Assemblée Nationale puis le Sénat viennent de voter une "allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie" , destinée à compléter la possiblité - fort peu utilisée toutefois - par les citoyens de prendre un congé de trois mois renouvelables pour accompagner un proche au seuil de la mort. Revue de détails du rapport sénatorial sur ce sujet des plus délicats.


Le dispositif actuel

        Voté en 1999, celui-ci permet aux salariés et fonctionnaires de prendre un congé non payé de trois mois, afin d'accompagner un proche qui va prochainement décéder. En 2003, ce congé devient renouvelable - sauf dans le secteur publique, comprenne qui pourra - et voit s'élargir le champ d'application de la loi précédente pour prendre en compte la diversité des états de santé des malades proches de la mort. Il est alors renommé "congé de solidarité familiale" . Par "proche" , la loi entend les ascendants, descendants et personnes vivant sous le même foyer, les frères et soeurs n'étant pas inclus dans le dispositif.

        Toutefois, selon les sénateurs ayant contribué au rapport, ce congé est "quasiment inusité et totalement méconnu" , ce qui semble paradoxal alors même que les soins palliatifs et la "fin de vie" - en non politiquement correct : la mort prochaine - sont au coeur du débat public depuis une bonne décennie. Les sénateurs imputent dans leur rapport la non-utilisation de cette possibilité juridique à deux facteurs : tout d'abord, la complexité du dispositif actuel ; mais aussi et surtout le fait que ce congé ne soit pas rémunéré, obligeant de nombreuses personnes à continuer de travailler pour maintenir un revenu, d'autant plus que la mort d'un père, d'une mère, d'un mari ou d'une femme entraîne la perte d'une partie du revenu de la cellule familiale si celui-ci ou celle-ci travaillait.


Le dispositif voté par le Sénat en ce mois de décembre 2009
 
        La nouvelle loi prévoit de créer une allocation d'une durée de trois semaines maximum de manière non-renouvelable et qui se termine immédiatement après le décès, pour les proches qui choisiraient d'accompagner quelqu'un, sous réserve que la personne mourante soit hospitalisée à domicile. Celle-ci concerne également les "ni salariés ni fonctionnaires" - car, dixit le rapport, "La situation est, en définitive, la même pour tous" - sous réserve de n'exercer aucune activité professionnelle durant ce laps de temps. L'allocation peut également être partagée entre différents proches, et les frères et soeurs ainsi que les "personnes de confiance" sont inclus dans le dispositif.

        Elle harmonise aussi les dispositions de la précédente loi pour une application uniforme aux salariés du privé et du public, qui ne connaissaient auparavant, par exemple, pas la même définition d'une "personne en fin de vie" . De même, le congé de trois mois est désormais renouvelable pour tout le monde. Le congé de trois mois devient également fractionnable sous réserve de prévenir l'employeur pour les salariés relavant du code du travail, et il est prévu la possibilité de travailler à mi-temps tout en touchant l'allocation - plutôt que de prendre un congé. Concernant l'employeur, il est prévu un délai de 48 heures avant de pouvoir prendre congé.

        Le montant de cette allocation, bien que fixé par décret, devrait être identique à celui de l'allocation journalière de présence parentale, soit 49 euros par jour, ce que Roselyne Bachelot a elle-même confirmé devant les députés. Le financement de cette allocation sera pris en charge par l'Assurance Maladie, au prétexte que c'était le plus souvent le cas dans la situation antérieure, les proches se faisant mettre en arrêt maladie - peu de médecins refusent de les signer dans cette situation, ce qui me semble être tout à leur honneur - pour conserver un revenu lors de l'accompagnement d'un proche mourant.

        Enfin, les sénateurs semblent avoir décidé d'intégrer de manière forte la conservation du statut de l'employé et de ses prestations sociales - retraite, cotisations sociales et ancienneté en font partie - , ayant considéré que le flou entourant celles-ci était un facteur non négligeable du peu de succès des précédentes dispositions.


Remarques des sénateurs et limites du nouveau dispositif

        La limite la plus évidente se situe dans la durée du dispositif : pourquoi avoir prévu un congé de trois mois si c'est pour n'en payer que trois semaines ? A quoi correspond cette durée ? Pour les sénateurs, elle "ne correspond à aucune réalité pour les allocataires" ; et ceux-ci se demandent également pourquoi la loi est si imprécise sur les jours qui seront payés dans les trois semaines - tous ? les jours ouvrables seulement ? - alors qu'au vu de la faible durée prévue par la loi "la différence n'est pas négligeable" . Du même ordre, alors que le congé de trois mois s'arrête trois jours après le décès, l'allocation s'arrête le jour même ou le lendemain.

        Il est également fait mention de manière appuyée au fait (étonnant) suivant : seules les personnes qui sont en soins palliatifs à domicile pourront voir leurs proches toucher une telle allocation alors que l'hospitalisation à domicile "concerne seulement 25 % des personnes en soins palliatifs en France" . Les 75 % de personnes mourantes - et leurs proches - qui choisissent l'hôpital seront certainement heureuses d'apprendre qu'elles ne sont pas traités à la même enseigne que ceux qui sont hospitalisés à domicile.

        Une question tout à fait légitime est enfin posée : "Pourquoi l'Etat ne prend-il pas à sa charge cette dépense de solidarité nationale ? " au lieu de se reposer sur le régime d'assurance maladie de la personne accompagnante ? En effet, s'agissant d'une dépense estimée à 20 millions d'euros dans sa configuration actuelle et surtout considérant le caractère général de la "fin de vie" et des soins palliatifs, il semblerait pertinent de supporter cette charge collectivement plutôt que par l'intermédiaire de régimes particuliers d'assurances-maladie dont on fustige en permanence le déficit chronique.


Les soins palliatifs y gagnent malgré de nombreuses limitations

        Une fois n'est pas coutume, et malgré, comme on vient de le voir, les très nombreuses limitations du dispositif, on ne pourrait que se féliciter si la loi était adoptée en l'état. Même en ne touchant que 25 % des personnes, même limitée à trois semaines, c'est ici une avancée certaine qui se produit dans le domaine des soins palliatifs et de l'accompagnement des mourants par leurs proches. Avant de se pencher législativement sur l'euthanasie, il semble en effet indispensable et digne de tout mettre en oeuvre à titre collectif pour soulager les malades en "fin de vie" - que je déteste cet euphémisme.

        D'un point de vue plus politique, on remarquera que le Sénat a fort bien travaillé sur ce sujet, ajoutant ou modifiant des dispositions pour améliorer le dispositif sorti de l'Assemblée Nationale dans la mesure de leurs compétences - celles-ci n'incluant pas l'augmentation de la durée si on en croit ledit rapport. Et pour une fois, il semble à lire celui-ci que la droite comme la gauche ont travaillé dans un certain esprit de concorde, des dispositions apportées par des sénateurs socialistes ayant été adoptées. Le rapport, dans le même ordre d'idée, n'épargne nullement ni le gouvernement ni les députés de la majorité, les sénateurs se payant le luxe d'inclure dans la loi une obligation de suivi de l'efficacité des nouvelles mesures. Je vous en livre un passage en guise de conclusion :
"La création d'une allocation d'accompagnement d'une personne en fin de vie répond à un véritable besoin, mais le dispositif prévu par la proposition de loi reste limité, tant en termes de durée de l'allocation que de restriction de son champ d'application à l'accompagnement à domicile.

Dans ces conditions, bien que faiblement convaincue de l'efficacité des demandes de rapports au Gouvernement faites par le Parlement, votre commission a jugé utile d'organiser les modalités de suivi du versement de cette allocation. De plus, le rapport dressera le bilan du développement des soins palliatifs à domicile, ce qui est également positif au regard des déficiences constatées aujourd'hui en la matière."

 

 

Publié dans En France

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