Projet de loi de finances 2010 : la justice reste le parent pauvre
Le site du Sénat a en effet mis en ligne le rapport établi par la commission des finances concernant le volet "justice" du projet de loi de finances 2010. On y trouve quelques informations pas inintéressantes, car on risque de les voir surgir à un moment ou un autre dans le débat politique français.
Un budget en légère hausse... ou en forte baisse !!
Les crédits de paiements alloués au ministère de la Justice sont en effet en hausse de 3.4 % à 6.859 milliards d'euros, chiffre qui sera très certainement celui dont on entendra parler en cas de polémique quand au budget de la justice pour 2010. Ces crédits de paiement représentent ce qui sera versé au ministère pour l'année, et correspondent aux prévisions qui sont faites. La hausse n'est ici pas négligeable compte tenu d'une inflation nulle ou presque cette année.
Le ministère de la Justice - comme les autres - dispose toutefois d'une ligne budgétaire plus large désignée comme "autorisations d'engagement" [1] , et permettant de financer des dépassements des crédits de paiements, dépassements systématiques et inévitables pour la Justice vu son sous-financement chronique. Et là, c'est une surprise d'une certaine ampleur qui attend le lecteur. En effet, ces autorisations d'engagement connaissent une chute très brutale, de 10.2 % très précisément, passant de 8 229 millions d'euros à 7 338 millions d'euros [2] , ce qui semble très loin d'être négligeable pour un ministère de la Justice en permanente précarité budgétaire. Va falloir ne pas dépasser ce qui est prévu, les lignes financières "de rab' " - soit les autorisations d'engagement débitées des crédits de paiement - passant de 1 400 à 500 millions d'euros. J'en connais qui n'ont pas fini de couper leurs post-it en quatre...

On notera que seule l'augmentation des crédits de paiement est valorisée - car mise en gras - dans le rapport de la commission des finances du Sénat [3] . Ceci dit, je vous préviens que le reste du billet se consacrera à l'étude des crédits de paiements, seuls pris en compte pour le budget.
Une hausse des crédits essentiellement à destination des services pénitentiaires
Contrairement à ce qui est induit par la formulation du rapport, et contrairement à "l'exigence de résultats" formulée par le rapporteur à l'endroit du ministère de la justice, le budget consacré à la justice judiciaire n'augmente en fait que de 0.6 % par rapport à l'année précédente. C'est en effet l'administration pénitentiaire qui se voit la "mieux" dotée [4] dans ce budget, avec une augmentation de 9.7 % mettant ce secteur du ministère de la justice quasiment à égalité avec le secteur judiciaire.
Concernant la protection judiciaire de la jeunesse, qui désigne par un doux euphémisme, entre autres, les centres de rééducation - quel que soit le nom qu'on leur a donné - pour "jeunes difficiles" , le budget est en légère baisse, ce qui paraît surprenant de la part d'un gouvernement qui a axé une bonne partie de sa politique en la matière sur l'enfermement et la sanction précoce des jeunes délinquants.
On remarquera également une chute de 7.2 % du volet "accès au droit et à la justice" , qui recouvre les structures mises en place pour régler les conflits avant un éventuel tribunal, avec comme but avoué à leur création de désengorger les tribunaux des conflits mineurs entre justiciables. On se demande personnellement comment cette mission pourra être remplie avec une telle diminution du budget alloué.
Le rapporteur désigne des points "noirs" - avec les guillemets
Sachez qu'ils sont nombreux, et même sous la plume délicate de nos sénateurs, restent une honte pour notre pays qui aime pourtant à se voir comme vertueux. Commençons par le plus criant quand on met en détention plus de citoyens que jamais : il est rappelé l'état lamentable des prisons de la République [5] , état désigné sous le vocable fort juste de "terrible impasse" . On attend un jour qu'un gouvernement ose des mots aussi forts pour parler de ce qui semble pourtant évident à quiconque connaît un peu le sujet.

De manière assez perturbante à mon goût est désigné la "dynamique à la hausse des frais de justice" , que le rapporteur semble reprocher aux juges, suite à une stabilisation l'année passée et désignée comme due au "double effet bénéfique de mesures volontaristes décidées par la Chancellerie et d'une prise de conscience salutaire de la part des magistrats prescripteurs" . Le rapporteur semble ici avoir le cul entre deux chaises, désignant les juges et leur gestion comme point "noir" , et oubliant pourtant de repréciser ce qui était écrit en introduction, à savoir que " le montant inscrit en PLF amène votre rapporteur spécial à s'interroger sur la sincérité" du provisionnement des frais de justice pour 2010.

Le rapport mentionne, et je n'étonnerai personne car c'est le cas chaque année ou à peu près, l'énorme déficit de greffiers - déficit qui met directement en danger le bon fonctionnement de l'institution, malgré les augmentations décidées ces dernières années - , déficit que le rapporteur ne voit aller qu'en s'aggravant compte tenu de "l'allongement de la durée de scolarité à l'ENG (passée de 12 à 18 mois en 2003) ainsi que la pyramide des âges des greffiers" .
Enfin, pour ne rien gâcher à un budget qui semble faire la part belle à l'emprisonnement - en accord avec la politique du gouvernement, certes - , le rapport du Sénat pointe très directement la faiblesse du budget alloué à l'aide juridictionnelle. Cette faiblesse semble telle que le rapporteur écrit dans le rapport que "la pérennité de l'aide juridictionnelle demeure sujette à caution" , ce qui équivaut en langue sénatoriale à une lourde alerte. Ça fera plaisir à maître Eolas qui estimait qu'une revalorisation de cette aide juridictionnelle ne serait pas de trop...
Quelques points précis du budget, entre imprévoyance et foutage de gueule
Comme trop souvent, le législateur a lancé une réforme sans financement adéquats : c'est ce qui se produit pour la réforme de la procédure d'appel, le rapporteur étant très clair à ce sujet car il pointe que "le budget du programme « Justice judiciaire » pour 2010 ne comporte aucun crédit spécifiquement dédié à couvrir le coût de la réforme de l'appel, envisagée au cours de l'exercice budgétaire à venir." Celle-là, elle est pour Authueil qui pointe régulièrement ce type de bévues.
Revenant sur les greffiers, le rapporteur constate la diminution années après année du ratio entre personnels administratifs et magistrats, et formule le voeu pieux - il "souhaite" - que les technologies de l'information et de communication améliorent la situation à moyen terme. On en doute à titre personnel, même si je formule également ce voeu pieux... ça ne coûte rien d'espérer, après tout !
En termes politiques, on constate que le rapporteur a les mots "performance" , "résultats" et "bonne gestion" à la bouche, car il espère que ces derniers pourront continuer après une stabilisation des frais de justice en 2009. J'estime à titre personnel que c'est un vrai foutage de gueule considérant la faiblesse extrême des moyens alloués à la justice de notre pays : fustiger la mauvaise gestion des magistrats alors que ceux-ci se débrouillent avec environ moitié moins de moyens que leurs collègues d'Angleterre ou d'Allemagne est clairement une assertion tout ce qu'il y a de politique, et l'on peut regretter que les hommes politiques n'osent pas s'emparer de ce point noir de la République.
Ainsi, le rapporteur s'alarme sur plusieurs pages de l'augmentation prévisible des frais de justice - ces juges, quels mauvais gestionnaires - notamment à cause de la revalorisation des indemnités pour les traducteurs. Pour ne pas accabler le rapporteur, il pointe d'ailleurs "l'insincérité" du budget 2010 alloué à ces frais entre les reproches faits aux juges - et propose une revalorisation de ceux-ci de 30 millions d'euros en amendement. En attendant que leurs postes disparaissent, les juges d'instruction se voient donc fortement enjoints de limiter leurs dépenses, et il en est de même pour le parquet. Ces accusations répétées de mauvaise gestion, encore une fois - je sais, je me répète - me semblent un vrai camouflet adressé aux gens de robes, dont le recours aux analyses, traductions, expertises, ne me semble pas pouvoir être mis en doute sans mettre en danger la justice même.
Un ministère toujours aussi pauvre malgré les chiffres annoncés
Il y aurait encore beaucoup à dire pour celui ou celle qui voudrait éplucher le rapport sous toutes ses coutures, toutefois cette rapide analyse permet déjà de constater que non seulement le budget de la justice reste toujours aussi dérisoire au regard de ses voisins européens, mais qu'en plus l'augmentation non négligeable affecté aux services pénitentiaires est déjà très certainement insuffisante au regard du durcissement de la politique pénale mis en place par le gouvernement depuis 2007. Je vous invite donc à ne pas vous laisser avoir lorsque nos hommes politiques viendont expliquer la bouche en coeur que "ce milieu corporatise défend son bifteack au-delà du raisonnable alors que leur budget a subi une des plus fortes augmentations par rapport aux autres ministères cette année" .
Le chiffre de 3.4 % est ici indéniablement un trompe l'oeil, qui masque mal une stagnation du budget dévolu à la justice judiciaire et une augmentation infiniment insuffisante du budget destiné à l'amélioration des conditions de détention. La justice reste définitivement le parent pauvre de notre République, pour le grand malheur de tous les citoyens qui auront affaire à elle.
Notes
[1] Je vous invite à consulter cette page web pour comprendre la relation entre crédits de paiements et autorisations d'engagement.
[2] Suite, certes, à une augmentation de 14.4 % en 2009.
[3] Et je pourrais mentionner cette phrase ridicule si la faiblesse chronique du budget de la justice n'était pas si tragique pour le bon fonctionnement d'un état de droit : "cette progression des crédits de la mission illustre l'importance attachée à la justice et la priorité accordée à ses moyens depuis plusieurs années" , le gras étant de la commission des finances.
[4] "Mieux" est très volontairement entre guillemets, je ne ferai l'affront à personne de rappeler les lamentables conditions de détentions en vigueur dans notre pays, particulièrement quand la classe politique fait assaut de sévérité et réclame sans cesse l'alourdissement ou l'augmentation des peines données par des juges trop souvent taxés de laxisme.
[5] Dont le peuplement est aujourd'hui de plus de 118 % , le rapporteur voyant là de manière étrange les "prémices" d'une amélioration de la situation, notamment si on promeut à l'avenir massivement le bracelet électronique.