Pearltrees, ou la fixation et la classification du web
Un service indispensable est né il y a bientôt un an, un service qui se propose en toute simplicité de révolutionner notre approche d'internet. Ce service, c'est Pearltrees, et en tant qu'utilisateur forcené depuis sa création, il me semble qu'il est temps de faire partager mon avis qui, une fois n'est pas coutume de ma part, sera à la limite du dithyrambe. Partons pour une petite exploration tant du service que de l'entreprise, jeune pousse française située dans le XIème arrondissement de Paris.
"Créez le monde de vos intérêts"
Pearltrees se propose de vous permettre d'archiver et de classifier un nombre infini de pages web, par l'intermédiaire d'une interface visuelle épurée. Chaque page web constitue une perle, qu'il est possible de déplacer et de classifier dans des arbres de perles faisant fonction de dossiers. Chaque arbre, chaque perle, est déplaçable de manière simple et rapide, peut être inclus dans d'autres arbres à la manière d'un répertoire sur votre disque dur. Vous pouvez nommer à votre convenance ces arbres et perles, y ajouter des commentaires, les partager sur Twitter, Facebook, par courriel ou en obtenant directement une URL spécifique.
Le service a également été créé dès le départ dans une optique collaborative et "d'amélioration du web" . Tout y est public - mais il n'est pas dur d'enfouir des perles que l'on ne tient pas à voir explorées - , et les utilisateurs peuvent s'envoyer des arbres qu'ils ont créé ou qu'ils ont trouvé au cours de leurs périgrinations sur le web ou dans ce service ; service qui encourage naturellement la sérendipité en permettant de visualiser - puis d'intégrer à son compte - les perles d'autres utilisateurs par proximité des sujets et pages web sélectionnés dans votre compte ou dans tel ou tel arbre.
Votre future mémoire subjective du web
Un bon service se caractérise par une interface ergonomique, simple tout en étant flexible. Si ce n'est pas une garantie de réussite, l'inverse est quasi-systématiquement synonyme d'échec assuré. Ici, nous sommes dans le haut du panier : c'est clair, sur fond blanc, ça ne fait pas mal aux yeux tout en étant suffisamment rapide dans le fonctionnement et la réactivité pour ne pas provoquer de frustration. On ajoutera un point pour la barre d'outil intégrable au sein du navigateur et permettant de "perler" des contenus dans des dossiers spécifiques sans passer par le site. Les codes couleurs sont bien définis : un contenu qui est sélectionné par d'autres utilisateurs sera entouré en bleu ; s'il y a des commentaires à propos dudit contenu, il sera entouré en orange ; et un petit bouton à côté du contenu permet d'accéder aux contenus jugés proches du vôtre par le service.
Concernant le fond du service, on est en face d'un produit qui est révolutionnaire en ce sens qu'il modifie profondément le paradigme du web. À l'image d'un Google qui permettait enfin de trouver rapidement et avec efficacité ce qu'on pouvait chercher sur internet ; Pearltrees permet enfin de conserver, classifier puis retrouver de manière simple et efficace plusieurs milliers de contenus ou pages web qui traversent notre route lors du temps passé sur ce canal de la surabondance de contenus qu'est le web. Un service comme delicious se présenta en son temps de cette manière, toutefois l'archivage y est complexe - il faut créer une taxonomie pour chaque contenu - et l'on repasse toujours par une fonction recherche pour retrouver des pages web archivées, ce qui rend la chose vite fastidieuse pour peu que l'on dépasse le millier de contenus. Pearltrees est à des années-lumières des services de favoris comme delicious en remplaçant les minutes - tant dans l'archivage que dans la récupération des contenus - par des secondes.
Et cette réduction temporelle est cruciale, au moins autant que peut l'être la classification visuelle par arbre et par la subjectivité des dénominations données à ceux-ci ainsi qu'aux contenus "perlés" . Ces deux innovations permettent en effet de décupler les possibilités tant d'archivage que de classification, ayant comme conséquence directe de proposer à l'utilisateur ce qui se rapproche le plus d'une réelle mémoire individuelle du web : on y retrouve tant l'architecture subjective et visuelle en arbres et sous-arbres, pour laquelle le cerveau humain a une affinité toute particulière ; qu'une réelle flexibilité de ce processus de classification qui est également une caractéristique appréciée du point de vue neurologique.
Les conséquences directes sont palpables extrêmement rapidement pour peu que l'on prenne une demi-heure pour se familiariser avec le service. Très rapidement, les contenus s'accumulent, les arbres et les sous-arbres se créent, les perles se déplacent en fonction de notre classement ; et l'on ne perd plus de temps à maudire les moteurs de recherche et nous-mêmes à cause d'un contenu croisé il y a une semaine, un mois ou un an et dont on aurait cruellement besoin pour rédiger un article, réviser des connaissances ou que l'on veut partager avec des amis. Au pire, on perd quelques secondes à charger Pearltrees et cliquer dans ses arbres, même avec plusieurs milliers de pages web archivées.
La petite communauté des "chercheurs en nouveaux médias" - pour peu que ce titre corresponde à quelque chose - se préoccupe depuis plusieurs mois de ce qu'elle nomme le "web de flux" qui serait constitué des contenus à durée de vie brève - articles, polémiques, contenus médiatiques superficiels - , opposé au "web de fond" constitué des contenus à durée de vie longue - enquêtes, rapports d'institutions, bases de données. Étonnament, peu d'entre eux se sont jusqu'ici intéressés à Pearltrees, alors que ce service est juste parfait tant pour structurer le "web de fond" que pour fixer et structurer le "web de flux" de manière indéfinie, et ce de manière efficace et subjective, à l'image du cerveau humain avec ses souvenirs. Le service présenté ici change le paradigme des deux "webs" - qui se recoupent largement - en révolutionnant la manière d'approcher et de partager les contenus, à la manière dont une bibliothèque, un bureau et des classeurs permettent d'organiser notre vie personnelle et professionnelle, vie dispersée auparavant sur des centaines de pages libres ou dans des livres dispersés et dans le désordre.
Des usages multiples : un service à plusieurs facettes
On reconnaît le potentiel d'un service aux possibilités d'appropriation offertes aux utilisateurs. Pearltrees n'échappe pas à la règle, en permettant de très nombreuses utilisations différentes de fixation des contenus. Petite revue d'exemples, en images et avec mon propre compte, chaque capture étant également un lien vers l'arbre correspondant sur Pearltrees :
Mise à jour, 12 août 2010 : le service permettant dorénavant d'intégrer des arbres directement dans les pages web, à la manière des services de vidéos, les captures ont été remplacées par des arbres intégrés et directement cliquables sur cette page
Création de récits et fixation du "web de flux"
Partage de ressources, collaboration, vie de ce blog
L'entreprise Pearltrees en quelques mots
Nous sommes ici dans le cadre d'une jeune pousse , qui a maintenant un an d'existence, compte une douzaine de développeurs et est localisée dans le "triangle d'or" des jeunes entreprises de haute technologie à Paris, juste à côté de Bastille. Ils ont trouvé des business angels qui les ont financé à hauteur de deux millions d'euros, ce qui assure la vie de l'entreprise jusqu'en 2012 - et est rassurant pour les utilisateurs que nous sommes, même si tout le contenu "perlé" est d'ors et déjà exportable sous forme de tableau.
L'entreprise n'a connu qu'un vrai moment de détresse : lorsque les américains sont arrivés en nombre sur le service suite à des critiques positive des "influents" de la blogosphère américaine, ils ont gravement surchargé les serveurs et ont donné quelques sueurs froides à l'équipe pendant quelques jours, même si ces problèmes sont maintenant derrière eux - et ont par ailleurs été assez vite réglés. Pour le reste, nous sommes en face d'une vraie jeune pousse, avec une équipe très solidaire et des relations hiérarchiques assez lâches, de même qu'une stratégie de financement qui repose exclusivement sur les investisseurs, l'essentiel étant non le revenu dégagé à court terme mais la base utilisateurs, à l'image des Google, Twitter et autres Facebook, que l'on pensera seulement plus tard à "monétiser" .
La meilleure nouvelle pour l'entreprise concerne la fidélité de ses utilisateurs et la régularité de la progression du nombre de ceux-ci : l'immense majorité des nouveaux inscrits, à l'inverse par exemple d'un Twitter, reste et utilise régulièrement le service. De plus, la courbe de progression semble impressionnante si on en croit les propos de l'équipe ainsi que la juste fierté que l'on ressent de leur part à ce sujet. Ceux-ci ne voient pour le moment aucun nuage à l'horizon, et c'est bien le meilleur qu'on puisse leur souhaiter.
Défauts de Pearltrees
Pour ne pas écrire un billet qui soit uniquement un panégyrique de ce nouveau service, je me dois de citer les quelques défauts et problèmes restants du point de vue de l'utilisateur. Le plus important n'est pas des moindres, il s'agit de la difficulté de la prise en main pour le nouvel inscrit, qui s'avère assez déroutante et est imputable sans difficulté au caractère novateur de l'interface visuelle. Malgré l'implémentation après quelques mois d'un guidage "pas à pas" des nouveaux utilisateurs, il est indéniable que la manipulation des perles et des arbres constitue un apprentissage un peu difficile mais absolument nécessaire, qui peut décourager les rétifs aux changements pour peu qu'ils n'osent jouer et expérimenter.
Une autre caractéristique de Pearltrees qui pour certains constituera à n'en pas douter un défaut rhédibitoire, c'est l'absence complète et voulue de section privative des comptes. La volonté d'imposer la collaboration et le partage a en effet conduit les fondateurs à forcer le caractère public de la totalité des comptes : on pourra considérer que c'est la rançon de la gratuité du service, ce caractère public visant tant à l'expansion rapide d'une base de contenus étendue qu'au maintien de l'utilité de la collaboration entre utilisateurs.
Le reste est constitué d'un défaut intrinsèque comme la difficulté à manier les perles avec un ordinateur portable équipé d'un pavé tactile ; de la non-prise en compte des accents et caractères spéciaux lors de l'intégration des titres des pages web "perlées" ; ainsi qu'un "dénommage" d'une fraction très limitée des arbres nouvellement créés et renommés qui s'avère quelque peu frustrant pour un service qui est sinon très bien huilé - en particulier si on tient compte de son extrême jeunesse.
Je ne saurais trop conseiller aux lecteurs la création d'un compte et la découverte de Pearltrees, qui est un des très rares services "2.0" qui participe profondément à l'amélioration globale du web et à la modification de la manière dont celui-ci est perçu et utilisé. C'est une véritable seconde mémoire qui est proposée à l'internaute, qui se permet le luxe de régler la question d'un "web de flux" critiqué pour son instantanéité et la brièveté de ses contenus tout en offrant une organisation visuelle inégalée pour le "web de fond" : ces deux internets se retrouvent ainsi réconciliés pour le bénéfice de tous.
Pearltrees permet également des usages multiples, allant du plus complexe au plus prosaïque sans jamais donner cette sensation de surabondance propre au web. Retrouver et montrer des vidéos stupides ou amusantes à ses amis n'aura jamais été aussi facile, tout comme classifier profondément des ressources avancées ou créer un récit ou de la veille à partir de contenus plus ou moins éphémères. Trouver des sélections redoutablement pointues de sujets proches des nôtres ou dans des thématiques où Google renvoie des milliers de requêtes est également rapide et efficace, permettant de faire fonctionner une sérendipité propre au web sans pour autant devoir filtrer des milliers d'informations inutiles. Je n'ai pas pour habitude de traiter des sujets habituellement apanages des "blogueurs high-tech" , mais il m'a semblé nécessaire et indispensable de vous parler d'un service qui pourrait bien dans quelques années devenir aussi habituel à utiliser que d'effectuer une recherche sur Google.
[Lien : www.pearltrees.com]