Le Monde, ou la mort d'un « journal de référence »
Je vais d'abord vous raconter une histoire, mon histoire. Plus précisément celle que j'ai eu avec le journal Le Monde. Je suis venu au Monde par la personne qui m'éleva, qui y était abonnée. Je dois bien avouer que ce qui m'a fait lire ce journal en premier lieu, c'est Plantu. Qui m'a bien plus donné le goût de la politique et de l'information dans ma prime jeunesse – j'avais 10 ans lors de l'élection de Chirac – que le reste du journal, que je survolais plus qu'autre chose.
Dans mon jeune esprit, Le Monde était associé au sérieux et à l'objectivité, et Plantu aidant je me suis mis à le lire régulièrement, toutefois, l'ère Colombani-Minc-Plenel tournait à plein régime, et très vite je n'ai pu que constater la déréliction - ou du moins sa perception - d'un idéal que je n'avait au final jamais connu, mais qui m'avait appaté. La première fois que j'ai douté, je m'en souviens parfaitement, c'était lorque j'apprenais l'histoire du grand barnum de la « mémoire de l'eau » publié en Une - en 1988 - avec force commentaires élogieux, et ce en grillant la politesse à Nature, ce qui « ne se fait pas » dans la recherche. Ledit Nature publiant l'étude, certes, mais avec de très forts doutes émis par l'équipe du journal, contrairement à l'article du Monde qui déjà m'avait choqué par son assurance et, oui, son arrogance. Particulièrement mal placée sur cette affaire, vu que la triche fut plus tard avérée par les démystificateurs de Nature – comme le prestidigitateur Randi. J'étais bien sûr beaucoup trop jeune, et c'est par la lecture en 1998 d'articles - via d'autres sources, m'ayant amené à lire ceux du Monde - concernant cette affaire vielle de quasiment 10 ans à l'époque que j'entrais en contact avec ce monument de l'erreur journalistique et de l'appât du scoop. Mais enfin, disons que la magie de l'idéal venait d'éclater, et avec elle la certaine idôlatrie que je portais aux journalistes...
Je continuais toutefois à lire Le Monde, parce qu'après tout il était à la maison, et que je ne connaissais que peu – vu mon jeune âge et la naïveté inhérente - la politique française, faisant donc tout de même une certaine confiance aux journalistes du journal – notamment politiques - , bien que ne portant plus qu'une attention distraite et plutôt amusée sur le contenu des pages « Sciences » du journal.
En 2001, ce fut mon second séisme dans la relation que j'avais avec Le Monde – ben oui, lire un journal pendant des années, j'appelle ça une relation : le livre de Pierre Péan et Philippe Cohen, La face cachée du Monde. En effet, bien qu'enrobé dans des haines très personnelles contre le trio qui régnait au journal, il n'en pointait pas moins de très nombreux dysfonctionnements et abus de pouvoirs. Des abus que mon ignorance politique m'avait cachés mais qui m'éclatèrent au visage – les pages France du Monde étaient clairement indissociables des intérêts personnels de Colombani, Minc ou Plenel - , de ce jour je décidai de varier les sources d'information, et de basculer progressivement vers un web nettement plus riche de ce point de vue.
Je me suis brièvement abonné il y a 2 ans, peu après leur « nouvelle » formule, mais le traitement de la campagne présidentielle notamment, m'a fait me désabonner : oui, Eric Le Boucher et Philippe Ridet, je pense à vous qui nous abreuvaient de vos loghorrées pro-Sarkozy, qui n'était pas désordonné, capricieux, vulgaire ou flirtant avec l'extrême-droite, mais « volontaire » , « courageux », « impatient », ou « hors de la pensée unique » ... sans même parler du formidable coup d'audace consistant à expliquer à vos lecteurs à la veille du premier tour à quel point il était antidémocratique de voter pour François Bayrou !
Bref, je consulte maintenant LeMonde.fr comme on regarderait une ancienne amante pour laquelle on n'a plus de sentiments, je continue à le lire – quand j'ai le temps, bien d'autre sources sont plus utiles – par nostalgie, habitude de l'ergonomie du site pour les dépêches AFP – qui sont 40% des articles du journal, et ça se voit - , et puis un peu aussi parce j'aime assez les lecteurs, qui répondent nombreux aux articles et me semblent être les moins cons des commentateurs de journaux en ligne – la palme allant bien sûr au Figaro, dont le niveau des commentaires n'a d'égal que la pauvreté et la subjectivité des articles - , tançant souvent vertement articles et points de vues et représentant un panel de points de vue plus large qu'ailleurs. Je ne suis visiblement pas le seul nostalgique, je me demande d'ailleurs quelle est la courbe d'abonnements du journal vu le ton extrêmement critique des commentateurs envers le travail des journalistes ainsi que la sélection éditoriale.
Enfin bref, si je vous ai tartiné tout ça, ce n'est pas purement pour parler de ma petite vie, mais parce que, comme à son habitude, le « journal de référence » se vautre dans le point de vue mal présenté et l'article partial, cette fois-ci sur un sujet que je traite sur ce blog : les OGM.
Et là, attention, Le Monde a décidé d'envoyer du lourd. Du très très lourd même. Sous la forme d'un « Point de vue » de Jean-Paul Oury, « Docteur en histoire des sciences et technologies ». Ce qui nous avance bien, hein, on ne sait pas ou il enseigne ou travaille. Je vous donne quelques extraits de ce texte dont le titre est « Les OGM, querelle idéologique » :
[...]
Aussi, il apparaît clairement que ça n'est pas l'appartenance à une famille politique qui définit le fait que l'on soit plutôt pro, ou plutôt anti. En ce sens, la querelle des OGM n'est pas politique, elle est idéologique : elle oppose deux visions du rapport "homme/nature" qui se trouvent également réparties à gauche et à droite : la position qui consiste à se définir comme anti-OGM est une vision conservatrice du vivant.
Elle est, comme nous l'avons démontré par ailleurs, issue d'une philosophie naturaliste qui voit la nature comme un patrimoine à conserver et auquel l'homme resterait soumis. De ce point de vue, toute "manipulation" devient suspecte, alors que les produits qui sont estampillés "naturels" apparaissent, eux, comme étant au-dessus de tout soupçon.
Cette vision refuse la transgenèse végétale parce qu'elle la suspecte de ne pas être un "moyen naturel" de production du vivant. A contrario, l'autre vision, elle, peut être caractérisée de "progressiste" en ce sens qu'elle part du principe que l'homme a depuis toujours modifié le vivant et son environnement et que cette capacité de modification est la condition même de sa survie.
De ce point de vue, les "solutions OGM" se justifient par le fait que ne pas développer cette technologie possible fait courir un risque plus grand à l'humanité : celui de se priver d'un outil indispensable à sa survie. D'un côté, on croit donc que le salut de l'homme passe par sa capacité à sauvegarder un équilibre avec la nature, de l'autre, on considère plutôt que cet équilibre qui n'existe pas de fait est à trouver et, par conséquent : l'homme est libre de "reprogrammer" le vivant en question.
Le problème qui devrait en toute évidence se poser au politique n'est pas alors foncièrement de faire la promotion de l'une de ces visions aux dépens de l'autre, mais bien de trouver les règles qui leur permettent de coexister. Bien sûr, pour que cette cohabitation puisse se faire, il faut qu'une solution technique la rende possible. Or, comme il est reconnu par tous les scientifiques qui se sont penchés sur le sujet, pour les OGM, comme pour les semences classiques, la coexistence est possible et des mesures peuvent être prises pour que le maïsiculteur OGM n'empêche pas le fermier bio de respecter son cahier des charges.
[...]
Encore faut-il pour cela [résoudre la querelle des OGM] que les politiques aient un véritable courage et une vision claire de ce que doit être une démocratie libérale : un système qui vise à donner le plus de choix possible à tous les citoyens en optimisant les libertés de chacun et non de promouvoir une idéologie ou un modèle de société aux dépens d'un autre, en cédant à la pression d'un groupe qui voudrait, imposer à autrui sa vision du monde et ses valeurs.
Je laisse répondre les commentateurs avisés du Monde, qui eux sont bien de référence – le contenu cité ci-dessous est rigoureusement vrai, vérifié par mes soins :
tatooin
20.05.08 | 08h31
Article intéressant, a l'exception d'une erreur MAJEURE de l'auteur: "la coexistence est possible et des mesures peuvent être prises pour que le maïsiculteur OGM n'empêche pas le fermier bio de respecter son cahier des charges." C'est bien la le probleme, la coexistence n'est PAS possible a moins de cultiver sous serre ! Sinon pourquoi les assureurs persisteraient-ils a refuser d'assurer les risques de contaminations génétiques par les OGMs ?
Mathilde H.
20.05.08 | 08h46
M. Oury, restez par pitié dans votre domaine de compétence: "une technologie qui fait ses preuves partout dans le monde"! Ne lisez vous pas la presse anglo-saxonne? Ah, pardon c'est en anglais... On y apprend que les Sojas GM produisent 20% de moins qu'une variété classique. Oui on sait introduire des gènes pour obtenir un produit particulier. Non on ne maîtrise pas le lieu d'insertion, ni les conséquences de cette insertion sur d'autres produits de l'organisme modifié: technologie pas finie!
Les chiffres donnés par Mathilde ne me semblent pas justes, pour autant ce qu'elle dit est vrai : aucune semence GM n'a jamais été plus productive que les meilleures semences obtenues par hybridation classique.
Jens
20.05.08 | 09h24
Comment peut-on encore pondre (pour être poli) de tels articles ? Vacuité abyssale du raisonnement (les OGM nécessaires à la survie de l'humanité !), arguments fallacieux mais franchement imbéciles (quel intérêt y a-t-il à citer quelques noms ne reflétant pas les dominantes de chaque camp ?), aspects essentiels du sujet éludés (risques environnementaux et sanitaires), le tout empaqueté dans un fatras d'a priori purement politiques (la démocratie libérale !). J'avoue que les bras m'en tombent...
Senjin
20.05.08 | 10h07
Coexistence impossible, lieu d'insertion du nouveau gène impossible à déterminer aux conséquences multiples, tests bâclés ou tout simplement oubliés sur la santé des animaux, dissimulation d'informations... etc. Certains insectes contre lesquels luttent les pesticides contenus dans les plantes ont déjà muté et se sont adaptés. Ils doivent maintenant utiliser EN PLUS des insecticides. Durant ce temps, le coton OGM meurt en inde et les paysans se suicident à tour de bras. Mais c'est pas grave.
thymus
20.05.08 | 11h15
Article idéologique à la réflexion binaire et pseudo-scientifique digne d'un C. Allègre. Les anti-OGM en plein champ ne sont pas les obscurantistes conservateurs "pro-life" présentés ici et les pro-OGM tous azimuts ne sont pas des progressistes, leur vision économique accusant un énorme retard. En dehors de ces extrêmes, il y a des gens intelligents qui seraient capables de s'accorder sur des solutions si les sempiternels partisans de la force brutale ne leur brouillaient pas les pistes.
Celui-là, c'est mon préféré :
Philippe F.
20.05.08 | 10h41
Le Dr Oury feint-il l'ignorance et construit-il un lit de Procuste au service des semenciers et autres profiteurs ? Ceci est indigne d'un scientifique et nous renvoie avec cette « querelle idéologique » aux pires moments du stalinisme avec Lyssenko. Non monsieur, la vie n'est pas affaire d'idéologie ! Ne pas tenir compte de la gravité des conséquences imprévisibles dues à la dissémination des OGM dans la nature est de l'inconséquence, voire pire. Être conséquent ce n'est pas être conservateur !
Bon, bien sûr, quelques commentateurs soutiennent l'auteur, j'en cite un – c'est à peu près le rapport dans les commentaires – qui me semble représentatif des arguments – pauvres – en faveur de la culture de semences GM en plein champ :
Bigstop
20.05.08 | 15h30
Merci à M. Oury pour son courage.C'est devenu un crime d'hérésie politique, dans la France d'aujourd'hui,que de ne pas faire allégeance aux thèses superstitieuses et réac nourries d'anti-américanisme primaire, d'anti-capitalisme et de théorie du complot des anti-OGM.Au fait, le blé est la première céréale génétiquement modifiée par l'homme,quoi qu'avec des moyens plus rudimentaires.Alors, anti-OGM ok,mais alors on est aussi anti-blé et pour le retour au céréales sauvages naturelles
Par ailleurs, une petite recherche via Google nous apprend que ce « docteur en sciences et technologies » est également, oh surprise, un des piliers du mouvement Alternative Libérale : sisi, souvenez-vous, leur porte-parole et maintenant présidente Sabine Hérold a tapé l'incruste dans plusieurs émissions de télévision lors des présidentielles de 2007, venant nous expliquer que la France était quasiment un pays communiste. C'est vrai, quoi, tous ces impôts, faut les supprimer fissa et le marché régulera parfaitement tout ça lui-même, en soit témoin le systême de santé américain. Alternative Libérale, ce sont ceux qui trouvent que Sarkozy est une couille molle - leur référence, c'est Thatcher - et qui se sentent trahis par cet homme qui n'a ni valeurs, ni idées, ni convictions autres que sa petite - au sens figuré – personne, et qui ne les a caressés dans le sens du poil que pour mieux déclarer qu'il voulait garder une industrie en France. On en pleurerait presque de les voir tout déçus de ne pas pouvoir avoir dans les 6 mois un systême sans plus aucune limite. On peut donc dire que le gentil Jean-Paul nous assène là des opinions ou l'idéologie est absente, puisque d'après lui, la conclusion est limpide : les semences GM, c'est le progrès, ça marche, c'est bon mangez-en, et au passage mettons des étiquettes pour que les riches puissent éviter d'attraper d'éventuels cancers. Encore une fois, Le Monde se vautre dans les affres du maljournalisme, c'est bien le journal « de référence » qui ne cite pas l'appartenance politique déclarée de l'auteur – qui déclare ne pas être un idéologue - d 'un « Point de vue » pourtant forcément polémique...bravo, et vive le journalisme total !
Mais ce n'est pas fini ! En effet, le « quotidien de référence » va nous gratifier ce jour d'un article relatant l'abandon par Limagrain – premier semencier européen – de leurs projets d'essais en plein champ, encore une fois voici quelques extraits de l'article :
Limagrain n'arrête toutefois pas ses recherches sur les OGM. "Nous avons pris des dispositions pour faire des essais en Israël et, surtout, aux Etats-Unis", explique Pascual Perez, directeur général de Biogemma. Il n'empêche. "La France et l'Europe prennent du retard dans le domaine des biotechnologies, regrette M. Chéron. Notre première variété de maïs OGM pourrait ne pas être au point avant cinq ans, et il faudra plusieurs années supplémentaires avant de bénéficier des autorisations nécessaires à la mise sur le marché."
[...]
La prééminence américaine en matière de biotechnologies semble fermement établie. La puissance de Monsanto tient, de fait, à sa technologie phare : la résistance au Roundup, un herbicide produit par la firme qui supprime les mauvaises herbes sans attaquer la plante transgénique.
"C'est devenu le standard de base en matière de semences", note M. Toppan, chargé du développement des OGM chez Limagrain. A cela s'ajoutent les maïs transgéniques résistants à la pyrale (le MON810, dont la culture commerciale vient d'être interdite en France) et à la chrysomèle.
[...]
Les difficultés de la recherche privée ne sont pas sans répercussions sur la recherche publique. "Quand il y a moins de partenaires privés, c'est toute la recherche qui souffre, note Alain Veil, conseiller au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). La France est en train de décrocher dans le domaine de l'innovation végétale."
Avec un risque supplémentaire : l'expertise française pourrait être prise en défaut quand il s'agira d'autoriser ou non les OGM américains qui s'impatientent aux frontières de l'Europe.
Mmmm, on ne sait ni de quels variétés il parle ; ni en quoi leur variété va prendre 5 ans de retard alors que le projet dont on parle ici n'était même pas lancé ; ou en quoi la recherche doit obligatoirement se faire en plain champ, alors que touts les tests – d'inocuité, de rendements, d'efficacité et de propagation - doivent au contraire se faire en premier lieu en laboratoire ; de plus Limagrain ne semble pas comprendre que suivre Monsanto – plutôt que de garder une orientation de faible consommation d'eau qui était notamment dans les objectifs initiaux des semences GM Limagrain – est une erreur monumentale tant l'inintérêt de ses semences est évident, vu les effets sur les agricultures des pays qui les ont adoptés.
Mais revenons au Monde :
- Au journaliste, tout d'abord, qui en ne présentant qu'un unique point de vue est clairement loin de son métier théorique – on aurait aimé avoir l'opinion d'un spécialiste, d'un chercheur pourquoi pas, sur les dangers pour la recherche sur les OGM de se limiter à de la culture sous serre, plutôt que d'être gratifié de cette conclusion qui pousse à la peur et non à la réflexion.
- Aux responsables éditoriaux, ensuite, indiscutablement coupables en ce 20 mai d'avoir publié un point de vue expliquant que la culture des semences GM en plein champ est la seule solution, en même temps qu'un article poussant à penser que la recherche française sur le sujet est gravement mise en danger par les anti-semences GM cultivées en plein champ. Deux textes, dont l'un est très mal présenté – omettre l'appartenance politique du locuteur est un peu léger – et l'autre mal écrit et de surcroît totalement partial, ne présentant qu'un seul et unique point de vue, celui du semencier Limagrain. Bravo les gars, vous pouvez être fiers de votre journal « de référence » ! En tout cas, sachez que ce n'est pas de cette manière que vous arriverez à reconquérir ou à conquérir des lecteurs et abonnés.
PS : mon désamour pour ce journal est notamment la raison pour laquelle je me fous royalement de la crise qui s'y déroule actuellement, estimant que ces bons journalistes qui se proclament floués ont quand même accepté de nous refourguer la merde de leurs patrons sans moufter pendant des années – sauf Schneidermann qui s'est fait virer dans le silence assourdissant de ses confrères - , et qui visiblement continuent de le faire sans le moindre scrupule ou état d'âme. La chronique de la médiatrice est d'ailleurs assez souvent un grand moment de contorsionnisme, vu qu'il faut faire passer des erreurs grosses comme un éléphant par le chat de l'aiguille qu'est la déontologie journalistique dont Le Monde se veut le parangon...
Pour savoir la provenance des capitaux de ce quotidien – et d'autres français - :
De l'indépendance des médias français : 1 - Les quotidiens
Mes précédents articles concernant les OGM, les diverses trahisons des politiques français sur le sujet et les mensonges éhontés de Monsanto et de ses porteurs d'eau - aussi bien politiques que médiatiques ou associatifs - :